* Tu fais quoi dans la vie ?
J'essaye parfois d'imaginer ce qu'aurait été ma vie si j'avais été diagnostiquée autiste Asperger dans mon enfance ou au début de ma vie d'adulte : est-ce que j'aurais moins souffert ou plus souffert ? est-ce que j'aurais eu plus de choix ou moins de choix ? est-ce que je me serais plus restreinte ou est ce que je me serais autorisée plus de libertés ? est ce que j'aurais fait autant d'efforts pour être comme les autres ou est ce que j'aurais gardé mes forces pour les mettre au service de mes aspirations et pour pouvoir être juste moi ? est-ce que j'aurai réalisé les mêmes choses, vécu les mêmes aventures, aimé les mêmes personnes ?
Aujourd'hui, je sais que je suis autiste, je sais que c'est ma nature d'être différente de la façon dont je le suis. Je ne peux pas faire et être autrement. Je pense qu'une personne autiste doit être acceptée et aidée à fonctionner dans le monde en tant que personne autiste et non pas passer sa vie à essayer de devenir "non-autiste" c'est à dire à essayer de devenir quelqu'un d'autre qu'elle-même. En général, les personnes autistes ne sont pas malheureuses ou en difficulté parce qu'elles sont autistes mais parce qu'on attend d'elles qu'elles se comportent selon une norme à laquelle elle ne peuvent pas se conformer du fait de leurs particularités sensorielles : puisqu'elles ne sont pas "non-autistes", il n'y a pas de raison qu'elles agissent comme l'une d'entre elles. Les autistes ne peuvent pas devenir "non-autistes". Ils ont besoin d'être confirmés dans leur singularité et dans leur mode de fonctionnement différent. Ils ont besoin de savoir que ce n'est pas ce qui rend les autres heureux qui va forcément les rendre heureux, eux. Ils doivent savoir aussi que leur façon d'être heureux n'a pas moins de valeur, que ce n'est pas un bonheur au rabais.
Beaucoup de psys sont dans le déni du handicap, surtout quand il s'agit d'un handicap invisible (haut potentiel, syndrome d'Asperger, troubles "dys"). Ils pensent souvent qu'il vaut mieux ne pas nommer clairement le handicap pour ne pas "enfermer la personne dans une case", lui "mettre une étiquette", la "stigmatiser". Ils se justifient en disant que cela va l'emprisonner plutôt que de la rendre libre (tant est qu'on puisse être libre avec un handicap…), lui fermer des chemins plutôt que d'en ouvrir. Moi je pense que c'est important et plus confortable de savoir et de comprendre pourquoi on se sent différent, de savoir qu'on ne part pas avec la même boîte à outils que les autres. Ne pas avoir les mêmes outils ne veut pas dire qu'on ne va rien pouvoir faire. On va le faire autrement et surtout en se culpabilisant et en se fatigant moins. Il faut juste qu'on nous aide à trouver une boîte à outils avec des instruments qui nous correspondent et non pas qu'on nous demande de nous adapter à des instruments dont nous ne pouvons pas nous servir.
Certains chercheurs estiment que la structure cérébrale différente des personnes atteintes d'autisme ne devrait pas être assimilée à une déficience, mais être considérée comme une variante acceptée de l'espèce humaine qui présente des avantages marqués dans certaines sphères et des faiblesses certaines dans d'autres. Si les autistes (et toutes les personnes "différentes"…) ont des envies et des besoins communs avec les personnes "normales", le chemin qu'ils vont prendre pour y parvenir sera sans doute très différent. La solution ne serait-elle pas que chacun puisse utiliser et valider ses propres processus mentaux et sa propre façon d'être compétent plutôt qu'une majorité impose une seule manière de faire au détriment d'une minorité ? Les processus mentaux des autistes sont souvent surprenants mais aussi riches de singularité et de créativité. Plutôt que de vouloir à tout prix les faire "rentrer dans le rang", au prix de souffrances et d'efforts souvent vains, peut-être serait-il plus intéressant de les laisser être ce qu'ils sont sans les juger et leur permettre d'utiliser leurs dons particuliers pour explorer des chemins souvent étonnants et enrichissants.