BIENVENUE DANS MON BOCAL

BIENVENUE DANS MON BOCAL

* La maman des poissons

 

 

 

 

 

C'est le sujet le plus difficile et le plus sensible à aborder pour moi tant il me renvoie à ma solitude de maman et à ma culpabilité de ne pas avoir su m'affirmer pour défendre et protéger mes enfants là où ils en avaient le plus besoin et non pas là où on m'a fait croire que c'était nécessaire…

  

Avoir des enfants est venu à un moment donné dans ma vie comme une évidence. Cela a été un vrai désir et un vrai plaisir. Je me souviens avoir vécu avec beaucoup de simplicité et de bonheur "l'état d'enceinte". C'était totalement passionnant et émouvant de pouvoir vivre cette extraordinaire aventure.

 

Évidemment, la case accouchement a été plus compliquée. Je ne savais pas à l'époque tout ce que je sais aujourd'hui de mes difficultés sensorielles et je pense qu'elles ont beaucoup interféré dans le déroulement de la naissance, tous les signaux d'alarme étant activés au maximum : bruits, odeurs, lumières, contacts physiques, beaucoup de personnes inconnues… Pour toutes les mamans, la naissance est une expérience totalement inimaginable physiquement et émotionnellement. L'accouchement est une "mécanique" extrêmement sensible et on sait combien l'environnement matériel et humain où il se déroule va faciliter ou empêcher ce déroulement. Pour une maman autiste, ces paramètres vont avoir une importance considérable compte tenu du caractère envahissant des sensations et de l'impossibilité de les filtrer et d'en réguler l'intensité. Ce n'est plus une tempête à affronter mais un tsunami sensoriel dévastateur qui peut bloquer net tous les processus biologiques de l'accouchement. À l'époque, je ne savais pas non plus tout ce que je sais actuellement de ces processus. Si je devais mettre au monde un enfant aujourd'hui, c'est sûr que je n'irais pas dans un "Pôle Mère/Enfant" et que je ne me laisserai pas intimider par un corps médical dont l'approche périnatale est toujours très anxiogène et culpabilisante.

Mes deux garçons sont donc nés par césarienne : la première en urgence sous anesthésie générale après des heures d'un travail totalement bloqué, et la deuxième programmée, sous péridurale, ce qui m'a permis de me préparer et de me protéger d'un certain nombre de "violences" sensorielles.

 

Malgré l'immense émerveillement mais aussi l'incommensurable responsabilité que l'on ressent face à un nouveau-né, j'ai le souvenir d'avoir été une maman à la fois totalement instinctive et complètement désemparée. La difficulté principale n'étant pas de s'occuper du bébé mais de s'en occuper à deux avec le papa, si ce n'est à plusieurs (avec tout autour le personnel médical, les grands parents, les amis !..)  Même si je n'en avais pas d'explication, je savais que je ne fonctionnais pas comme les autres et que je pouvais être complètement décalée dans ma façon de me sentir et de me comporter en tant que personne et en tant que maman. Et comme je l'ai toujours fait dans ma vie quand je me sentais en décalage, j'ai donné la priorité aux codes des autres plutôt qu'aux miens. J'ai observé comment faisaient les autres plutôt que de me faire confiance.

 

 

 

 

Je pense que mes enfants ont eu deux mamans : celle que je pouvais être lorsque que je me sentais tranquille et en sécurité, c'est à dire quand j'étais seule en général, et celle qui se calquait à ce que les autres faisaient même si cela pouvait aller totalement à l'encontre de ce que je ressentais et pensais. Cela a été très violent pour moi de ne pas avoir pu rester spontanée et j'imagine aussi pour mes garçons de vivre avec une maman qui se fiait plus aux conseils et au fonctionnement des autres qu'à son instinct, surtout lorsque cet instinct entrait en opposition avec les discours éducatifs ambiants.

 

Vivre avec des enfants n'a pas dû être toujours très compatible avec toutes mes sensibilités sensorielles et mes besoins d'un environnement calme et prévisible, de sommeil et de solitude. Il y a eu forcément beaucoup de perturbations dans mes lignes et beaucoup d'effondrements à gérer (c'est à dire à cacher…). Comme j'ai toujours su très bien le faire, j'ai fort bien donné le change, même si intérieurement je me sentais parfois perdue, dépassée et épuisée. Malgré cela, j'ai veillé sur eux comme une lionne sur ses petits.

 

Je me demande comment mes enfants ont ressenti cela et si leur vie en a été un peu ou beaucoup impactée. J'ai le sentiment d'avoir fait le mieux possible malgré mes difficultés de communication et l'absence de complicité avec leur papa. Je crois finalement que c'est cela qui a été le plus compliqué à vivre dans notre vie de famille. Nous étions en désaccord sur la forme la plupart du temps, et parfois aussi sur le fond. J'aurai eu besoin à mes cotés d'une présence bienveillante qui m'aide à amortir l'impact de mes limites sensorielles et émotionnelles sur les enfants, quelqu'un qui ne rajoute pas des jugements de valeur souvent injustes à mes difficultés. Cela me paralysait totalement et me confortait encore plus dans l'idée que je n'étais pas à la hauteur.

 

Mes garçons, je les ai aimés et je les aime toujours plus que tout, avec beaucoup de tendresse et d'émerveillement. Aujourd'hui, je me sens un peu perdue depuis qu'ils ne partagent plus mon quotidien. Ils vivent leur vie loin de moi, ce qui est évidemment dans l'ordre des choses. Cela rend notre relation souvent plus compliquée à gérer pour moi du fait que je n'arrive pas à garder les codes que je n'utilise pas régulièrement. La présence de leurs compagnes et la distance géographique peut rendre ma relation avec eux de moins en moins simple et spontanée. Quand je les vois, je ne sais pas ce que je dois dire, à quelle place me mettre. C’est comme s'il fallait tout recommencer à chaque fois. Si on ne se voit que pour quelques heures ou un week-end, comme c’est souvent le cas, je n’ai pas le temps de raccrocher les wagons. Ils arrivent et ils repartent sans que je puisse retrouver ma spontanéité pour rétablir un contact naturel et fluide. C’est très fatigant et très frustrant à vivre.

 

L’absence de mes enfants me fait mesurer aussi à quel point leur présence m’a permis d’avoir des relations avec l’extérieur. Pendant leur adolescence en particulier, il y avait toujours plein de copains qui passaient à la maison et avec qui je passais des moments que j’aimais beaucoup. Je m’entendais bien mieux avec eux qu’avec les gens de mon âge avec qui je ne me sentais pas à l’aise et avec qui je m’ennuyais presque toujours. Le monde venait à moi sans que je n’aie à faire quoique ce soit pour ça.

 

 

 

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04/04/2017
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