BIENVENUE DANS MON BOCAL

BIENVENUE DANS MON BOCAL

* Mes amis, mes amours, mes emmerdes...

 

 

 

 

 

Du fait de leurs modes de perceptions différents qui mobilisent en permanence toute leur attention, les interactions sociales sont un défi perpétuel pour les autistes, . Tous leurs sens étant sollicités de manière continuelle et envahissante, les personnes autistes vont être captées en priorité par la gestion de leurs sensations physiques au détriment des échanges sociaux.

 

L’intérêt pour la relation à l’autre est innée chez la plupart des êtres humains. Ils acquièrent de façon naturelle et spontanée les codes qui régissent les interactions sociales et sont instinctivement à la recherche de contacts et d’échanges. Pour les autistes, cette recherche n’est ni évidente ni spontanée. Ils vont avoir à construire les codes sociaux par une analyse permanente de leur environnement avant de pouvoir les expérimenter eux-mêmes par imitation. Toutes les données ainsi stockées ne sont jamais définitivement acquises ni fiables en raison du nombre infini de paramètres possibles. Les données acquises dans un contexte ne pourront peut-être pas être utilisées dans un autre car c’est comme si on se retrouvait dans une autre autre histoire et qu’il fallait apprendre un nouveau rôle. 

 

Par exemple, il peut m’arriver de ne pas reconnaître une personne rencontrée dans un cadre professionnel si je la revois dans un cadre amical. Et même si je la reconnais, je ne vais pas savoir comment me comporter car les codes appris dans une situation ne sont pas forcément applicables dans une autre. Je pense que ce comportement est à l’origine de beaucoup d’embarras, de malentendus et de jugements : on a dû me trouver souvent très impolie, indifférente ou hautaine…             

 

Avec les personnes que je vois souvent, j’arrive à créer « une base de données » suffisamment importante pour pouvoir m’adapter rapidement dans des situations différentes. Cette continuité dans le lien est vitale pour moi pour pouvoir profiter de la rencontre. Sinon, même avec des amis très proches ou des personnes de ma propre famille, je vais avoir beaucoup de mal à me « rebrancher » si je n’ai pas assez de temps et de calme pour retrouver ou recréer les bons codes. C’est très angoissant et très frustrant de ne pas pouvoir se reconnecter spontanément et d’avoir la sensation de croiser mes proches sans pouvoir les retrouver vraiment. À chaque fois que je vis ce genre de situation, je me sens perdue, très triste et très désemparée.

 

Plus il va y avoir de monde et d’informations sensorielles à gérer, plus je vais avoir du mal à me « rebrancher » aux uns et aux autres. Je vais assez rapidement me retrouver submergée et incapable de participer pleinement aux conversations. Je peux arriver à donner le change en surface mais je vais vite me sentir complètement absente et perdue intérieurement… et très vite épuisée par cet effort que je dois faire pour essayer de garder le contact malgré tout.

 

 

 

 

Les repas qui s’éternisent sur plusieurs heures (genre mariage, anniversaire, réveillon, dîner professionnel, repas de famille…) sont souvent un véritable défi ! Je vais alors sortir mon « kit de survie en milieu stressant » : sourire figé, regard vague, phrases toutes faites ou mutisme… ou je vais essayer de trouver un prétexte quelconque pour bouger (aller aux toilettes, m’occuper de l’intendance, mettre de la musique, chercher une info sur ma tablette, me lever pour aller regarder quelque chose qui m’intéresse …) parfois au mépris des règles les plus élémentaires de savoir-vivre… La version buffet ou apéro est celle avec laquelle je vais me sentir le moins mal à l’aise : possibilité de bouger, de m’isoler un moment si nécessaire, pas de face à face obligatoire, pas de conversations trop longues…

 

 

Je peux devenir « transparente » dans ces moments là et j’ai le sentiment que personne ne s’en rend compte. Lors de certaines invitations, toute une soirée peut se passer sans que personne ne m’adresse la parole ni ne s’inquiète de mon mutisme. À la fois cela m’arrange de disparaître… et à la fois, c’est très blessant et douloureux de me rendre compte que, parfois, je pourrais ne plus être là sans que les personnes qui m’entourent ne s’en aperçoivent. C’est tout le paradoxe des Aspies : ils ont besoin d’être seuls et en même temps, ils souffrent beaucoup d’être seuls !

 

 

 

 

Ma configuration idéale pour vivre des relations sans me sentir ni trop envahie ni trop exclue est d’avoir à mes cotés une personne qui sait ce que je ressens et qui va « faire la conversation » sans m’oublier ni me solliciter à tout prix pour que j’y participe à temps plein. Je peux ainsi entrer ou sortir de la conversation sans que cela ne soit trop gênant et gérer le plus discrètement possible ma fatigue et mes décrochages.

 

Je sais aujourd’hui que mes décrochages en plein milieu d’une conversation peuvent être très frustrants et déstabilisants pour mes interlocuteurs. C’est juste qu’à un moment donné, j’ai trop de « programmes » qui tournent en même temps en arrière plan : si je ne connais pas ou peu la personne ou que je ne l’ai pas vue depuis longtemps, je recherche parmi les codes que j’ai en rayon ou, si j’ai le temps,  je dois en créer de nouveaux, je dois gérer toutes les informations sensorielles qui m’envahissent et toutes les émotions qu’elles génèrent (énervement, fatigue, peur…), me concentrer pour essayer de contrôler mon regard et pour échapper le plus possible à celui de l’autre… C’est épuisant !

 

Certains Aspies, dont je fais partie, peuvent paradoxalement aller facilement vers les autres et paraître plutôt très sociables. Comme ils ont appris à maîtriser parfaitement les normes et les codes sociaux, ils peuvent donner l'illusion d'être très à l'aise… au point de surjouer la décontraction parfois… Mais ce "naturel" n'étant pas inné, cela ne peut pas durer très longtemps : une fois le premier contact initié, ils sont vite en difficulté pour maintenir et entretenir la relation débutée pourtant avec aisance et spontanéité, ce qui peut laisser un sentiment d'incompréhension et de grande déception aux personnes en face. 

 

Il ne faut pas prendre cette aisance et cette spontanéité ponctuelles pour de l'hypocrisie ou de la manipulation. Au moment où je vais vers l'autre, je suis vraiment sincère, j'ai vraiment envie de m'engager dans la relation et d'établir un contact durable. Mais voilà, mon "aspi-cerveau" ne va pas pouvoir m'aider à assurer dans le temps ! Il n'est pas équipé pour "faire la conversation". Je ne sais pas parler pour ne rien dire et s'il n'y a pas un sujet précis de discussion, je vais me sentir très vite en difficulté. Une conversation sans but déterminé comme parler de la pluie et du beau temps est une mission impossible plus de cinq minutes

 

Les Aspies ne savent pas entrer spontanément dans des relations sans objet. Il faut qu'il y ait un motif défini à l'interaction, quelque chose de concret à faire en commun ou un sujet précis de conversation, sans quoi ils ne sauront pas quoi dire ni quoi faire. C'est évidemment très angoissant et compliqué de participer à des rencontres informelles quand on n'a pas cette fonction "conversation" en rayon. Pour ma part, ces situations me demandent tellement d'efforts et de concentration que je vais les éviter le plus possible en trouvant des prétextes divers et variés. Si je ne peux pas les éviter, je vais décrocher sans préavis et tout faire pour abréger la rencontre au plus vite. Même si j'essaye d'y mettre les formes le plus diplomatiquement possible, mes départs précipités ne sont probablement pas toujours bien perçus !

 

 

 

 

Je connais beaucoup de monde mais mes amis se comptent sur les doigts d'une main… et encore… J'ai tellement jouer le jeu de la normalité pour cacher mes difficultés que je suis usée par toutes ces années de compensation. J'avoue qu'aujourd'hui je ne fais plus beaucoup d'efforts pour avoir une vie sociale "normale" et pour maintenir le peu de relations qui me restent. J'économise mon énergie pour la mettre dans des relations où je n'ai pas trop à "faire semblant" pour être acceptée. J'ai envie de me sentir comprise et en sécurité. Alors les rangs s'éclaircissent évidemment… Je n'ai pas changé en fait, j'ai juste moins peur de me montrer telle que je suis vraiment. C'est beaucoup plus confortable pour moi mais sûrement beaucoup moins pour les autres...

 

La suite



04/04/2017
0 Poster un commentaire