BIENVENUE DANS MON BOCAL

BIENVENUE DANS MON BOCAL

* Récit d'un diagnostic 5

 

 

 

À 1 mois près, 3 années se sont écoulées depuis mon premier appel...

 

 

 

 

 

Fin octobre, je reçois ma convocation pour mon dernier RDV prévu pour le 1er décembre. Je vais avoir enfin la réponse. Plus la date va approcher plus la peur et le stress vont me submerger. C'est le compte à rebours :

 

 

 

 

 

Lundi 24 novembre / J –7

Dans une semaine exactement, rendez-vous au CRA pour "la réponse". C'est terrible cette attente. C'est comme un programme qui tourne tout le temps en arrière plan dans mon cerveau depuis janvier 2012. C'est usant. C'est de la torture organisée… C'est le monde cruel du CRA. Je me sens en colère : comment peut-on poser un diagnostic de cette importance avec aussi peu d'éléments, aussi peu d'échanges ? C'est totalement effrayant. Je ne respire plus depuis des mois…

 

 

Mardi 25 novembre / J –6

Plus le jour J approche, plus je sens que je m'enfonce dans une matière pâteuse, collante… Ça fait comme une sorte d'engourdissement général. Je n'arrive pas du tout à imaginer la réponse parce que je ne comprends pas sur quoi elle va être fondée. Ça me paraît d'une subjectivité totale…

 

 

Mercredi 26 novembre / J –5

Je me couche avec. Je dors avec. Je me lève avec. Je passe ma journée avec, chaque heure comme un sablier sans fin… Il faut quand même aller travailler, quand même écouter et être disponible, quand même continuer à fonctionner en mode automatique. Je sens que mon cerveau est épuisé. Chaque rendez-vous que j'assure pour mon travail est un combat pour survivre, une lutte pour continuer à avancer. À la fin de chaque séance c'est :"ouf, j'y suis arrivée". À chaque fin de journée c'est :"j'ai réussi !". Je passe ma vie à tenir, à essayer de réussir d'arriver au bout de chaque jour. C'est horriblement fatigant.

 

 

Jeudi 27 novembre / J –4

Dure journée. Je suis à fleur de peau. Tout me rentre dedans. Pas de filtre, pas de sas de décontamination. J'ai les yeux qui pleurent tout le temps, ça coule… Je dors mal depuis tant de mois. Je suis fatiguée, fatiguée, fatiguée…

 

 

Vendredi 28 novembre / J –3

Vais-je enfin trouver une boîte où mettre mes morceaux ?... ou pas… Et voilà, encore une journée dont je suis venue à bout !..

 

 

Samedi 29 novembre / J –2

Crises de larmes sans arrêt. Hier soir, ce matin… Je pleure tout le temps. Je craque tout le temps. Après-demain, c'est le "grand jour". Quelqu'un qui ne me connaît pas, qui m'a vue une fois vingt minutes, qui m'a à peine parlée, qui m'a donné un dossier impossible à remplir, qui passe son temps à sortir de son bureau, ce quelqu'un là, médecin psychiatre, va me dire qui je suis… Il a ce pouvoir incroyable de me ranger dans une boîte ou pas… c'est lui qui sait… moi je sais pas hein… moi je suis une pôv fille un peu dérangée…

 

 

Dimanche 30 novembre / J –1

Oppression. J'ai la respiration coupée. Je pleure, je pleure… Sensation que je suis dans un monde stroboscopique. J'imprime plus rien. Je suis sonnée. Bug…

 

 

Lundi 1edécembre / H –11h30

Minuit et demi… Impossible de dormir. Je ne sais plus ce que je ressens. J'ai peur et je suis en colère. Je ne comprends pas : j'ai passé vingt minutes avec un psychiatre, un quart d'heure avec un médecin et une heure avec un flamand rose… Et avec ça, on va me dire qui je suis ????

 

 

5h40 du matin / H –6h20

Il faut que je dorme… Je n'arrive pas à arrêter mon cerveau

 

 

6h18  / H –5h42

Est-ce que je dois passer par les bureaux administratifs d'abord comme les autres fois ? Je me lève pour aller vérifier. Eh ben non, je ne suis pas invitée à passer par le bureau des entrées. Pourquoi non cette fois ci ? Mystère…

 

 

8h  / H –4

Je me suis enfin rendormie. Sauf qu'il est l'heure de me lever. Je me réveille toujours quelques minutes avant que le réveil ne sonne et ce quelque soit l'heure à laquelle je l'ai mis. J'ai un réveil greffé dans le cerveau. Je suis toujours à l'heure. Bon, debout les crabes, la mer monte !... Comment tu te sens ma choupinette ? juste là ? ça va, ça va…

 

 

8h09 / H –3h51

Petit déjeuner au lit, comme d'habitude. Il faut juste que ça dure moins longtemps. Pour ne pas penser, je chante en boucle dans ma tête (sur l'air du bal masqué de la Compagnie Créole) : Bohars, Bohars masqué ohé ohé, Bohars Bohars Bohars masqué, elle ne peut pas s'en tirer ohé ohé, à Bohars Bohars Bohars…

 

 

8h45 / H –3h15

Allez debout ma chérie, il faut que tu te bouges. Tu es prêt du but. Peut être pas… Si ça se trouve, ce n'est pas encore la ligne d'arrivée… On va me dire de revenir dans six mois pour d'autres tests… S'il me dit ça le "fonctionnaire des boyaux de la tête", je pense que je ne vais pas être très cool… Pas de maquillage aujourd'hui, sinon je vais me retrouver avec une tête de panda ! Je sens mes yeux plein de larmes…

 

 

9h59 / H –2h

Je suis allée faire le plein, je suis passée chercher Laurence et nous sommes en train de quitter Lorient. Appel sur mon portable : bonjour, c'est le CRA de Brest. Votre rendez-vous est annulé. Le psychiatre qui devait vous recevoir ne vient pas travailler aujourd'hui. Nous ne savons pas quand vous aurez un autre RDV. Je m'arrête au bord de la route. Je dis que ce n'est pas possible, que ça fait trois ans que ça dure, que je suis suspendue au dessus du vide avec ces attentes interminables, qu'ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils font vivre aux gens, que c'est de la pure cruauté, de la torture organisée… Je pleure bien sûr, c'est l'effondrement total. Je n'arrive pas à y croire. Finalement, elle me donne le numéro de portable du psychiatre en me disant que je peux l'appeler pour voir ça directement avec lui. Je note le numéro mais je me sens tellement effondrée que je suis incapable d'appeler…

 

 

 

 

 

10h28

Je me suis un peu calmée. Je l'appelle. Répondeur. Je laisse un message de détresse absolue.

 

 

10h30

Il me rappelle. Je ne sais plus ce que je dis… colère, détresse, colère, détresse… Je suis en larmes… Il se justifie : il a eu un problème de voiture, ce sont les incidents de la vie. Il habite au fin fond de la campagne Bretonne, à une quarantaine de kilomètres de l'hôpital, ce n'est pas facile… Il commence à avoir un certain âge, le service est en difficulté, il fait ce qu'il peut… Je me demande pourquoi je tombe toujours sur des psys qui me demandent de les comprendre, pourquoi je me retrouve toujours à écouter ceux qui devraient être là pour m'écouter… J'ai une partie de moi qui comprend, et une autre qui dit : ne te fais pas avoir, tu as raison d'être en colère, ne laisses pas tomber ta rage pour pouvoir continuer à te défendre… Je fais toujours passer l'autre avant moi dans ce genre de situations : j'écoute, je comprends, je donne des circonstances atténuantes et finalement je m'oublie… Mais il me fait quoi lui, le grand manitou des boyaux de la tête, c'est quoi son problème ? Est-ce qu'il peut imaginer ce que je vis ? ça va faire bientôt 3 ans que j'attends ce RDV, 3 ans que je suis suspendue au dessus du vide avec cette question… Est-ce qu'il réalise ce que ça représente 3 ans ? 3 ans pour 3 rendez-vous !!! Je crie, je pleure, je ne sais pas combien de temps ça dure… Il me demande où j'habite. Mais tes dossiers mon pote, tu les regardes des fois ? Tu étais censé me recevoir ce matin et tu ne sais même pas d'où je viens ? En fait, tu ne sais rien de moi à part tes fiches à la con et tes cases à cocher… On ne fait vraiment pas le même boulot… D'ailleurs ton boulot, c'est pas du boulot, c'est du mépris et de la maltraitance...

 

Après, je ne sais plus trop comment on a fini par trouver une solution. Il m'a reçue dans l'après-midi mais je ne me souviens absolument pas de notre entretien. J'étais tout au fond de mon bocal en mode crise/effondrement. La seule information que j'ai captée c'est que oui, j'étais bien autiste Asperger. Tout le reste s'est perdu, toutes ses explications à propos des mes tests, ses conclusions, ses recommandations… Le brouillard total… Un des pires effondrements de ma vie…

 

Les jours suivants, les semaines suivantes, je suis restée dans un état de sidération impressionnant. J'avais la sensation d'être enfin arrivée à bon port, d'avoir retrouvé mon pays d'origine et à la fois d'avoir à retracer la carte d'un territoire inconnu, en trouvant comment faire se superposer mon nouveau monde avec l'ancien…

 

 

 

 

 

 

 

La suite : épilogue



24/04/2017
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