BIENVENUE DANS MON BOCAL

BIENVENUE DANS MON BOCAL

* Conjuguer la fatigue à tous les temps...

 

 

 

 

 

 

LA THEORIE DES CUILLERES

 

 

Considérant que la vie est faite de figures imposées (travail, gestion de la vie quotidienne, matérielle et administrative, santé…) et de figures libres (sorties, loisirs, voyages, rencontres familiales et amicales…), mon grand challenge journalier, hebdomadaire et mensuel est de gérer tout cela en fonction de mes « cuillères ».

 

Le principe est simple : chaque matin, j’ai 12 cuillères à ma disposition pour la journée. Chaque cuillère représente une dose d’énergie que je dois décider de consacrer à une figure imposée ou à une figure libre (sachant qu’une figure libre peut me coûter aussi des cuillères même si elle me fait grand plaisir).

 

 

 

 

 

Petit exemple de la vie quotidienne :  passer 2 heures chez le coiffeur… Pour la grande majorité des femmes, c'est un moment de plaisir et de repos : prendre du temps pour soi, se faire chouchouter, se faire belle, discuter…

 

 

 

UN SALON DE COIFFURE POUR UNE PERSONNE SANS TSA

 

 

 

 

 

 

 

Pour moi, cela fait partie du top 5 des situations les pires auxquelles je dois me livrer. C'est un cauchemar absolu. Les stimulations sensorielles sont au maximum de leur intensité à tous les niveaux : le bruit, les séchoirs, les minuteurs, les lumières, les odeurs, le toucher, la chaleur, le froid, la coiffeuse qui me fait la conversation, les clientes qui discutent. C'est une torture, toutes les alarmes sont au rouge, je suis en mode survie… À la sortie, je suis presque toujours au bord de l'effondrement. Ça peut se terminer par des cris et des crises de larmes… (oui oui…) Évidemment, aucun témoin pour assister à ce genre de "débordements" totalement irrationnels, c'est un peu la honte quand même…

 

 

 

UN SALON DE COIFFURE POUR UNE PERSONNE AVEC TSA

 

 

 

 

Les figures imposées, version semaine de travail, me prennent d’emblée une grande partie de mes cuillères, sinon toutes certains jours… Parfois, pour aller au bout de ma journée, je vais être obligée d’emprunter des cuillères du lendemain. Résultat : je démarre la journée suivante avec déjà des cuillères en moins… Le déficit s’accumule un peu plus chaque jour et quand arrive le week-end, non seulement je n’ai plus aucune cuillère disponible pour d’éventuelles figures libres mais je dois reconstituer et préserver mon stock pour repartir la semaine suivante. 

 

 

 

 

Pour les figures libres, il faut que je compte aussi mes cuillères. Ce qui est naturel, spontané et réconfortant pour la plupart des gens (discuter, passer un moment avec des amis ou en famille, sortir voir un spectacle, fêter son anniversaire, être invité à l’improviste, rencontrer de nouvelles personnes, aller manger au restaurant, visiter une expo, aller chez le coiffeur…) ne l’est pas pour moi. J’ai appris depuis longtemps à mes dépends que les efforts que je dois fournir pour « sortir » et l’épuisement que cela va générer vont avoir un impact immédiat sur mon capital énergie, sur ma fatigue et donc sur un éventuel effondrement…

 

Alors bien évidemment, tout le monde est fatigué à la fin de la journée ou de la semaine, tout le monde perd ses cuillères et tout le monde a besoin de se reposer. Mais la fatigue dont je parle n’est pas de cet ordre. La fatigue dont il est question pour moi, et pour tous les autistes, est à un degré qui n’est pas en rapport avec les tâches objectivement accomplies ni avec l’environnement tel que la plupart des gens le perçoivent. Ce ne sont pas les actions à accomplir qui posent problème, c’est tout ce qui doit être gérer en même temps sensoriellement, socialement et émotionnellement. C’est ce cumul des mandats qui est terriblement épuisant…Si on ne sait pas que mon cerveau est en permanence au boulot pour trier, comprendre et gérer toutes les informations sociales et toutes les stimulations sensorielles qui lui parviennent puissance 100 (informations et stimulations qui sont traitées automatiquement pour vous), on ne peut pas imaginer l’épuisement que cela génère.

 

Pour chaque proposition du genre « chouette, on va passer du temps ensemble » ou « cool, on va aller voir l’expo de machin truc » ou « ça te dirait un petit restau » va se poser pour moi la question de tout ce que je vais avoir à gérer dans ces contextes hautement saturés au niveau sensoriel, relationnel et émotionnel. L’envie, je l’ai presque toujours, les ressources souvent pas, sauf à concentrer toutes mes forces sur cet événement et ne plus avoir assez de cuillères pour assurer tout le reste…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je sais que c’est compliqué et pénible pour mon entourage (et pour moi aussi…) d’essayer de programmer des choses à l’avance. Si je ne semble pas toujours très enthousiaste à l’annonce d’une invitation ou que je ne suis pas trop motivée pour organiser un projet de vacances, si j’hésite et que je n’arrive pas à me décider, c’est que je réfléchis tout le temps aux efforts que je vais devoir fournir. Sans compter qu’un oui lâcher avec enthousiasme lundi peut se transformer en non samedi pour cause d’épuisement … et inversement, je peux dire non à 9h et être finalement en forme à 18h … Pour des plans à plusieurs semaines ou plusieurs mois, c’est encore plus difficile de me projeter à long terme…

 

 

 

 

RÉPONDRE OUI OU NON, LÀ EST LA QUESTION…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je me sens souvent confuse pour ce qui peut sembler être de l’inconstance ou un manque total de savoir vivre, mais je n’ai pas suffisamment de réserve de cuillères pour pouvoir m’organiser de façon plus prévisible. Si je dis non d’emblée, si je me défile au dernier moment ou si je m’arrête en plein milieu, c’est que je n’ai pas le choix à ce moment là. Pour les invitations ou les projets que je veux absolument préserver, je peux décider de passer outre les signaux d’alarme mais je sais dans quel état d’épuisement je vais être et le temps qu’il va me falloir pour récupérer.

 

Avant, je faisais les choses en force sans me préserver, ce qui me mettait dans des états d’effondrement impressionnants sans que je comprenne quoique ce soit à ces descentes aux enfers. Aujourd’hui j’ai compris pourquoi et comment je peux gérer au mieux mon capital cuillères. Vu de l’extérieur, cela peut donner l’impression que j’ai régressé parce que j’en fais beaucoup moins, mais vu de l’intérieur, c’est beaucoup plus confortable et rassurant pour moi, même si je me sens parfois très frustrée de ne pas pouvoir vivre tout ce que j’ai envie de vivre…

 

 

POUR RESUMER :

 

La théorie des cuillères, c'est savoir que j'ai une réserve d'énergie limitée et que je ne pourrais pas accomplir tout ce que la plupart des personnes font sans se poser trop de questions, que ce soit des figures imposées ou des figures libres.

 

C'est devoir choisir de ne pas répondre à une invitation ou à un projet sympa et être obligée de rester à la maison pour ne pas risquer de passer en mode survie.

 

C'est penser à chaque instant aux cuillères nécessaires par rapport à celles qui me restent 

 

C'est ne jamais pouvoir oublier que mes cuillères sont comptées et que quand je les ai toutes utilisées, je ne suis absolument plus accessible... C'est sentir alors le bocal se refermer d'un seul coup sur moi sans que je puisse faire quoique ce soit pour l'empêcher...

 

 

 

 

 

 

 

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04/04/2017
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