BIENVENUE DANS MON BOCAL

BIENVENUE DANS MON BOCAL

* Epilogue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Octobre 2016

 

 

Cela fait maintenant quelques mois que j'ai été diagnostiquée autiste Asperger. Même si cela peut paraître bizarre, j'ai vécu cette annonce comme une victoire. Victoire de mon obstination depuis plus de trente ans à chercher inlassablement une réponse. Victoire du courage qu'il faut pour se lancer dans ce parcours de diagnostic et pour se battre chaque jour pendant 3 ans pour ne pas lâcher l'affaire. Victoire d'avoir été au bout de mon "intime conviction" en dépit de tout ce qu'on m'a dit… ou pas dit… Victoire de ma vie enfin rassemblée, enfin expliquée, enfin apaisée, même si elle reste encore souvent bien compliquée…

 

 

  

J'ai enfin reçu la clé de l'énigme de ma vie...

 

 

 

En triant et en réécrivant les notes que j'ai prises durant ces trois années, j'ai retrouvé, presqu'intactes, toute l'incompréhension et la rage que j'ai ressenties au fil de mon parcours, tant au niveau des délais invraisemblables qui sont imposés aux aspi-rants à un diagnostic que du protocole utilisé pour les évaluer. Les grilles d'évaluation qui sont encore et toujours utilisées aujourd'hui ne me semblent pas du tout adaptées aux adultes qui ont déjà un long parcours de vie et qui ont mis en place des stratégies d'adaptation depuis si longtemps qu'ils se fondent dans le décor de façon presque parfaite. Ils ont acquis et pratiquent "avec une certaine aisance" les codes sociaux. Le prix à payer pour cette adaptation et cette pseudo aisance est énorme en terme de fatigue et de renoncement à leurs besoins et à leur identité. Se fondre dans le décor, c'est disparaître à soi-même, c'est se diluer et ne plus exister.

 

L'autre problème de ces grilles c'est qu'elles ont été élaborées à partir de l'observation des autistes garçons qui ont été toujours majoritairement diagnostiqués. On sait aujourd'hui, à travers tous les témoignages des filles/femmes parus ces dernières années et les travaux de recherche de plusieurs spécialistes qui commencent à revoir leurs copies, que l'autisme ne va pas se manifester pour les femmes de façon aussi "visible" que chez les hommes. Laurent Mottron, qui a donné en mars dernier une conférence passionnante sur ce sujet ("Le point sur l'autisme invisible "), propose de repenser ces grilles d'évaluation afin de les "assouplir" pour ne pas continuer à exclure un grand nombre de femmes autistes de façon totalement injuste. La route va être longue au vu des orientations majoritairement psychanalytiques des CRA en France, de leur très grande disparité et de leur grande résistance en terme de réactualisation de leurs pratiques. L'autisme, surtout lorsqu'il s'agit de cet "autisme invisible", n'est pas une science exacte. Il n'y a pas encore de prise de sang ou d'images cérébrales qui permettent de le diagnostiquer de façon factuelle et irréfutable. Parfois on va tomber sur un psychiatre et / ou une équipe qui travaillent avec "intelligence" et parfois non !  (oui oui, "avec intelligence", je me permets de le dire… un professionnel qui continue à dire qu'on ne peut pas être autiste si on est capable de regarder dans les yeux devrait être sanctionné pour bêtise aggravée… et non assistance à personne en souffrance…). Obtenir une évaluation qui tient compte des dernières études et recommandations qui ont été validées depuis ces dernières années reste malheureusement une vraie loterie selon la région dans laquelle on se trouve… Et ça, c'est totalement injuste et inadmissible.

 

Pour ma part, j'ai eu la chance de tomber sur un professionnel "intelligent" qui, malgré tout ce que j'ai pu en dire sur le moment et malgré un protocole dont il a convenu lui-même qu'il n'était pas le mieux adapté, m'a permis d'accéder à un parcours de diagnostic complet. Il y a de grandes chances que j'aurai été arrêtée au premier rendez-vous dans d'autres structures au vu du haut niveau de compensation que j'ai acquis depuis presque soixante ans… Ecrire "j'ai eu la chance de" est déjà en soi une formulation qui en dit long sur le sentiment de beaucoup d'entre nous de jouer à la loterie. Dans les forums et groupes d'aspie, il y a beaucoup de témoignages et de questions concernant les différents CRA de France. Les commentaires peuvent aller du meilleur au pire et sont parfois édifiants quant au degré d'incompétence de certains professionnels.  C'est vrai que les demandes de diagnostics ont explosé, en particulier pour les adultes, et les moyens dont disposent les centres ressources autisme sont dramatiquement insuffisants. De cela, j'en conviens, ils ne sont pas responsables. Sans évoquer les querelles de clocher qui peuvent sévir au sein de ces structures et décourager les professionnels les plus impliqués et souvent les plus créatifs… Il faut vraiment avoir du courage pour travailler avec des gens qui avancent à reculons ! Si on a l'habitude aujourd'hui de parler de "spectre autistique", on pourrait parler aussi de "spectre de compétence des professionnels de l'autisme" !..

 

Alors malgré tout le mal que j'ai pu dire de lui, je remercie infiniment mon "fonctionnaire des boyaux de la tête" pour sa patience et son courage, pour avoir tenu bon malgré ma colère et mon découragement, pour le choix qu'il fait chaque jour de laisser une place à sa pratique clinique plutôt que de se fier aveuglément à des chiffres, pour son engagement et son impertinence malgré son immense fatigue et son légitime désenchantement du milieu institutionnel…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La suite



24/04/2017
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